Par Cécile Faulhaber
Mon histoire commence à partir de mon inconfort, par un ressenti, une gêne dans mon corps. En arrivant l’été dernier mi août sur le lieu de nos stages à Boffres, dans le collectif Grain&Sens, je constate qu’il n’y a plus un brin d’herbe, la terre est exsangue, rasée, sèchée, asséchée. Même les sous-bois sont déserts. A force de passage, de stages de groupes, l’impact des dizaines, peut être centaines de personnes qui ont piétinés ce lieu depuis juillet est visible, trop. Je sens que le lieu a besoin d’être laissé tranquille, nous sommes très nombreux à battre son flanc. Mais il faut bien que les propriétaires trouvent un modèle économique et des revenus pour l’entretenir. Vaste question, délicat équilibre à trouver.
Avec cette culpabilité en moi, nous convenons avec mon amie géobiologue Marjorie de sa venue fin novembre pour entre autre travail ensemble, aller voir le lieu. Nous partons toutes les 3 avec Emmanuelle, Marjorie et moi un matin tôt de novembre. Nous rencontrons à Grain&Sens Kim et Raphael un des couples propriétaire du lieu et boulangers de profession. Raphael, le visage fatigué nous dit que justement, enfin, c’est aujourd’hui qu’il a réussi à descendre avec le tracteur pour remonter les troncs qui restaient sur le lieu. Il procrastinait cette action depuis l’été… choquées nous clamons toutes que ce n’est pas à lui de faire cela! Il nous dit que aussi, les dizaine de bottes de paille qu’il avait prêtées pour un stage, il doit aussi les remonter pour le jardin sinon elles seront perdues. Je perçois tellement de fatigue dans son corps. Tant de choses à faire. Je suis triste.
En descendant là où nous faisons les stages, nous ne pouvons que constater visuellement l’impact. Des bouts de bois par ci par là. Des structures encore debout mais certaines à moitié effondrées. Des bouts de ficelles bleues entourant les arbres. De grands abris construits encore dans la forêt (je précise que nous les avions laissé avec l’accord des propriétaires qui souhaitaient en bénéficier). D’autres petits abris un peu plus bas dans la forêt un peu partout. Des traces du passage de nombreux humains au fil des semaines et des étés bien visibles. Des pierres arrangées encore présentes, les bottes de pailles… sans même parler d’empreinte énergétique, l’empreinte humaine est bien visible, présente et stagnante. Je sens à travers mes yeux, mon corps, que ça ne va pas.
En remontant nous en parlons avec Raphael et Kim. En précisant que c’est à nous de faire tout cela. Nous et les groupes avant et après nous bien sûr. Que ça demande un pilotage global, une charte, un engagement. Ne soyons pas des locataires consommateurs d’un lieu pour un temps donné mais des humains qui prenons soin, par nos intentions et nos actions. Quitte à venir en dehors des stages des étés, car il est vrai qu’à la fin de ces stages nous sommes toujours assez épuisés, et nous faisons parfois l’impasse sur le bout de bois ou la pierre à déplacer pour rendre le lieu absolument propre de notre passage… l’idée émerge (ou se conforte car elle était déjà dans un coin de l’esprit de quelques-uns) d’organiser un chantier collectif de plusieurs jours pour prendre soin du lieu.
Fin mars, 4 jours de chantier collectif ont été faits. Nous y sommes allées avec Emmanuelle. Avec une dizaine de personnes, nous avons nettoyé toute la place du bas, scène de nos stages. Les bottes de pailles, les abris, les structures, les bouts de bois, les pierres. Nous avons dégagé les énormes troncs qui envahissaient la prairie humide de tout en bas, espace rare que Raphael souhaitait préserver. Nous avons creuser des rigoles pour que l’eau n’inondent plus leurs maisons mais remplisse des mares etc… le soulagement, l’apaisement, la joie étaient palpables dans le corps et les yeux des propriétaires gardiens des lieux. Pleins de gratitude, des hugs chaleureux pour notre venue et tous ces gens venus les soutenir. A plusieurs, c’est tellement plus léger.
Personnellement après avoir fait place net du lieu de nos stages et autres actions dont l’impact étaient visibles, je me sentais soulagée, un pas de fait pour prendre soin du lieu, me sentir moins coupable. Ça m’a fait du bien.
Le collectif est enthousiaste à réitérer l’expérience. Peut être même plusieurs fois dans l’année. Je me sens clairement la responsabilité d’y contribuer, d’inclure encore plus cette dimension là à la fin de nos stages. Vraiment faire place nette à 100%. Que Raphael n’ait plus à descendre ramasser ce que nous aurions laissé. Pour que le lieu puisse réellement sur reposer de notre empreinte.
J’apprends de cette expérience que prendre soin d’un lieu, c’est aussi prendre soin des personnes qui l’habitent, et prendre soin de moi.