Aimer la nature…

    par Frederika Van Ingen

    L’histoire derrière l’article…

    Pour cette première newsletter de Troisième Option, Cécile et Emmanuelle m’ont proposé de partager mon témoignage sur mon vécu de l’appel du mentor. Mais sans en faire un livre, m’ont-elle précisé. Alors, pour en récolter l’essentiel, j’ai emprunté le regard de l’aigle pour survoler et voir, depuis là-haut, ce qui, en moi, a changé.

    Aimer la nature ?… Pour la sauvageonne née au milieu des bois et des étangs, pataugeant dans la boue, cette question sonnait vraiment saugrenue. Demande-t-on aux enfants s’ils aiment respirer ? Mais en suivant le chemin indiqué par nos cultures, en côtoyant d’autres humains, comme pour beaucoup d’entre nous, le tissu de l’évidence s’est un peu déchiré. Parmi tous les accrocs que cela a pu inscrire en moi, deux événements me reviennent, qui à mon sens illustrent la myopie de nos sociétés. D’abord, ce camarade de bancs d’école de journalisme qui me traita d’égoïste quand je voulais devenir « journaliste nature » : « comment peux-tu vouloir défendre les petits oiseaux alors que des humains vivent dans la misère et sont maltraités ? ». J’avoue que j’étais restée sans voix. Je savais bien au fond, qu’on ne pouvait ni séparer ni opposer ces deux propositions, mais comment trouver les mots… L’autre histoire se déroule à peine plus tard lorsque mes tous premiers articles sur les bleuets, les papillons ou les castors m’imposèrent cette « règle incontournable du journaliste sérieux » : chercher des raisons scientifiques pour justifier leur sauvegarde… À ce monde qui sépare, qui oppose, qui mesure,  qui se prend au sérieux, qui décortique, qui veut des preuves – de quoi au fond, que la vie fonctionne ?…-, longtemps, par nécessité, je me suis adaptée.

    De cette adaptation, les sagesses des peuples racines rencontrées il y a plus de dix ans m’ont invitée à me libérer, en me montrant le monde sous un autre angle, beaucoup plus large, bien plus ouvert : c’était celui de mon cœur d’enfant. Ce cœur qui ne se demande pas s’il a besoin de respirer ou bien d’aimer pour vivre : il aime et il respire !

    Et pour nourrir ce cœur d’enfant, pour réparer ses liens enfouis, la nature m’a rappelée, de loin d’abord, puis de plus en plus fort. C’est sur ce chemin-là que j’ai rencontré Troisième Option, la Semaine de connexion puis l’Appel du mentor. Tout y avait un parfum familier qui me donnait l’impression d’être « comme à la maison » : les sagesses, les pratiques, la posture du mentor, et même le « qui quoi quand où comment pourquoi », b-a-ba du journaliste qui sert aussi à pister -forcément !…  J’y ai trouvé en plus un fil rouge, et un outil capable de repérer, de retisser mes liens brisés. Je me souviens de la première année qui dit à la petite fille : vas y, fonce, retourne dans les bois ! C’est là que tu vas apprendre. Enfin, je peux patauger dans la boue, marcher sous la pluie, passer des heures à ne rien faire sans culpabiliser, écouter les oiseaux, sentir, pister dehors, dedans, errer avec autorisation, et même encouragements ! Le paradigme est inversé : ce n’est pas nous qui posons nos schémas de pensée sur la nature, c’est elle qui nous enseigne, qui nous modèle. Pour moi, c’est une réparation pas à pas, au fil d’un tour de roue, de la déconnexion forcée.

    Puis une deuxième année, où je m’engage « comme une seule femme », avec l’intention claire de pouvoir transmettre plus « efficacement » ce lien à la nature qui est déjà en moi mais dont j’aimerais tant pouvoir imprégner mes semblables. Elle me pousse un peu plus loin dans les détails, à travailler ce focus qui m’est inconfortable. Ce qui me frappe toujours plus, ce sont les résonances entre les expériences que je vis au quotidien, les partages de chacun, les pratiques, d’autres enseignements que je reçois, et l’Appel du mentor. Pas de doute : avec la connexion, la vie devient pure synchronicité.  Ma boussole se construit, clarifie mon chemin, lui donne sens, et direction. Mes doutes, sentiments de solitude, reçoivent un baume : c’est toute une culture qui se réveille ici et remet la connexion au cœur des relations, et une communauté qui la soutient, qui me soutient.

    Vient la troisième année, celle de la châtaigne, entamée en trainant des pieds, et finie sautillante. Revisite de toute mon histoire, étape par étape, direction par direction, exploration douloureuse des espaces blessés -accueil, sécurité, vitalité et joie de l’enfant endommagés, efficacité forcée, soin de soi renié, soin des autres oublié, mal compris, et j’en passe -, déconstruction progressive de tous ces mécanismes qui ont sous-tendu l’adaptation imposée, restauration des liens humains, sous un jour autre, accueil, de plus en plus paisible, de ma singularité…

    Et maintenant, trois ans -bientôt quatre- après ? Eh bien, le chemin ne s’arrête pas : il n’a fait qu’ouvrir d’autres pistes, des audaces, des envies, et des questions nouvelles, qui chaque jour interrogent la profondeur de l’engagement, comme pour implanter toujours un peu plus loin ses racines. Et qui chaque jour nourrissent des liens qui s’opposent moins, car ils peuvent se rejoindre en moi, et dès lors, être mieux partagés. Grâce à ce chemin, les fameuses questions du pistage -ou celle du journaliste- ont changé de couleur : j’ai pu sentir, de l’intérieur, que leur vraie fonction n’est pas seulement d’explorer le monde, de l’expliquer, ou le décortiquer, elles servent, avant toute chose, à s’y relier !

    Plus qu’un chemin, c’est une sente qui serpente au milieu de la forêt, où se rejoignent, se croisent et se décroisent des pistes « plus qu’humaines », comme j’aime bien les nommer. Plus qu’humaines car dans ces espaces-là, l’humain ne contrôle pas : c’est la vie qui le dessine. Tout juste peut-il respirer, aimer, laisser passer à travers lui le Souffle de la Vie. Mon cœur d’enfant savait cela, car le cœur de l’enfant sait ces choses. Grandir consiste à les conscientiser, pour les transmettre. Pour transmettre la vie.

    C’est ce cœur-là, au fil de ces trois  années, que j’ai recontacté, réveillé, apaisé, soigné, accueilli, pour qu’il batte plus en chœur, en harmonie. C’est ce cœur-là qui vibre un peu plus fort quand il partage ici sa gratitude aux synchronicités sauvages, traces, nids, chants d’oiseaux, bois de cerfs, piquants d’églantiers et de roses, hérissons, humains, chevreuils, écureuils, mentors et mentorés rencontrés, qui dessinent la toile sensible et vivante sur laquelle s’inscrit cette histoire.

    Frederika Van Ingen

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